Note d'information du Réseau Voltaire 150
Du 02/01/98 au 18/01/98
4e année



(98/0001) Éditorial

Réintégrer "le domaine réservé" dans le champ démocratique

La Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale se prononcera, le 21 janvier 1998, sur la proposition de création d'une commission d'enquête parlementaire " relative au bilan de l'entreprise Elf-Aquitaine et de ses filiales dans les États africains et à ses conséquences sur les rapports de la France avec ces États " (AN numéro 455).

Les informations disponibles, dont nous présentons ici un résumé, font en effet apparaître qu'Elf-Aquitaine développe, au nom de la France, une diplomatie en Afrique et dans le reste du monde, hors du contrôle démocratique.

Quelles que soient les pressions dont ils font aujourd'hui l'objet, les représentants du Peuple failliraient à leur mandat s'ils repoussaient la proposition de création d'une commission d'enquête parlementaire déposée par les députés Verts, Noël Mamère, Marie-Hélène Aubert, André Aschieri, Yves Cochet, Guy Hascoët et Jean-Michel Marchand (cf RV 97/0540).

Cette démarche est la seule qui permette de mettre fin au " domaine réservé ", et de réintégrer dans le champ démocratique à la fois la politique africaine de la France et une partie de sa politique énergétique. Elle doit néanmoins éviter plusieurs écueils, constitués par les logiques déjà en présence et qui ont fait la preuve de leur ineptie. Elle doit pour cela être capable d'aborder sans dogmatisme ce domaine, et s'abstenir de rejeter a priori tel ou tel mode de fonctionnement. Il convient par exemple de ne pas se laisser berner par le discours néo-gaulliste de défense des intérêts nationaux face aux Anglo-Américains, dont on sait qu'il ne sert aujourd'hui qu'à masquer des aventures personnelles, sans pour autant éluder la pertinente question de l'impérialisme américain qu'il pose. Il ne faut pas non plus condamner a priori les initiatives d'Elf au seul motif qu'elle est devenue une entreprise privée, ce qui équivaudrait à promouvoir le Léviathan étatique, sans accepter pour autant que l'autonomie d'un pouvoir économique le dispense de rendre des comptes aux citoyens. Enfin, il faut se méfier de l'idéologie de la décolonisation qui présente comme légitimes les décisions d'États souverains, gouvernés par des oligarchies corrompues, et sacralise " le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes " au détriment des droits des citoyens.

Cette commission d'enquête, si elle devait voir le jour, pourrait être l'occasion de réinventer les relations franco-africains. Un objectif d'autant plus urgent que les prévarications des hommes d'Elf ont non seulement semé le malheur en Afrique, mais l'expose de plus à la domination américaine.

Thierry Meyssan


(98/0002) Qu'est-ce que le groupe Elf ?

Selon Loïk Le Floch Prigent, " En 1962, [Pierre Guillaumat] convainc [le général de Gaulle] de mettre en place une structure parallèle autour de vrais techniciens du pétrole. [En créant Elf à côté de Total] les gaullistes voulaient un véritable bras séculier d'État, en particulier en Afrique, (...) une sorte de ministère du pétrole inamovible, (...) une sorte d'officine de renseignement dans les pays pétroliers ".

Elf fournit alors une couverture et un financement des activités politiques et militaires de l'Élysée dans son "domaine réservé ". Lorsque Georges Pompidou et plus encore Valéry Giscard d'Estaing succèdent à Charles de Gaulle, Elf s'autonomise par rapport à l'Élysée. Les hommes de la compagnie considèrent les barons gaullistes comme seules autorités légitimes et attendent leur retour au pouvoir. Ils commencent à constituer clandestinement un trésor de guerre et n'hésitent pas à monter des machinations contre le président de la République, comme l'affaire des avions renifleurs. Alexandre de Marenches, directeur du SDECE (actuel DGSE) tente vainement de " défoccartiser " la compagnie et met en garde le président Giscard d'Estaing contre les initiatives privées d'Elf qui contreviennent, selon lui, aux intérêts du pays.

À la surprise générale, les élections de 1981 ne permettent pas le retour des gaullistes, mais l'accession des socialistes. Plus habile que son prédécesseur, François Mitterrand reprend partiellement le contrôle d'Elf, qui obéit désormais à la fois à l'Élysée et au RPR. L'alibi de la légitimité nationale s'efface devant une logique de clan et de partage mafieux des richesses africaines. Certains dirigeants d'Elf se comportent dès lors comme des entremetteurs et acquièrent des fortunes personnelles considérables. La compagnie fait et défait les dirigeants au Gabon, au Congo, au Cameroun, en Angola; elle étend son influence dans toute l'Afrique francophone et même parfois anglophone, comme au Nigeria. Par l'intermédiaire d'Omar Bongo, elle s'impose au sein de l'OPEP ou participe à des transferts illégaux de technologie nucléaire. Elle finance tous les partis grands partis politiques français et s'immisce bientôt sur la scène européenne en finançant aussi bien les campagnes d'Helmut Kohl que celles de Felipe Gonzalez. Elle ambitionne même de s'implanter aussi bien en Ouzbekistan qu'au Venezuela dont elle achète également les principaux dirigeants.

En 1994, Edouard Balladur se place en rivalité face à Jacques Chirac. Pour financer son action, il tente de prendre le contrôle d'Elf en plaçant Philippe Jaffré à sa tête et un conseil d'administration choisi parmi les " noyaux durs ", en mobilisant les réseaux Pasqua pour écarter les chiraquiens, et en faisant ouvrir des poursuites judiciaires à l'encontre de Loïk Le Floch-Prigent et de ses amis socialistes. Ce conflit ouvre la boîte de Pandore et permet aux magistrats de mettre à jour de multiples réseaux de corruption et d'abus de biens sociaux.

En 1996, Elf était le premier groupe insdustriel français, avec un chiffre d'affaires de 232,7 milliards de francs.

(98/0003) Document : L'argent de poche du président Bongo

Nous reproduisons ici un ordre de paiement de 100 millions de francs CFA, émis par la Société gabonaise de raffinage (Sogara), filiale d'Elf-Gabon à Port-Gentil, à l'ordre d' Omar Bongo, président du Gabon. Celui-ci est venu lui-même retirer la somme en liquide, le 21 janvier 1992, à la BIPG de Libreville.

Une gâterie d'Elf parmi d'autres, à l'intention d'un ami.

(98/0004) Les dix administrateurs du groupe Elf

 

- Yves Barsalou

(Né le 18 septembre 1932 à Bizanet). Exploitant agricole et banquier. Président de la Caisse nationale de crédit agricole et administrateur de diverses sociétés dont le Banco Espirito Santo.

- Pierre Bilger

(Né le 7 janvier 1934 à Colmar). Inspecteur des finances. Ancien élève de l'ENA. Conseiller ministériel auprès de Jean-Pierre Fourcade (1974-76), Michel Durafour (1976), Robert Boulin (1977), directeur de cabinet de Maurice Papon (1978-81). Directeur d'Administration centrale au ministère de l'Économie et des Finances (1982-86). Pdg de Gec-Alsthom (équipements pour la production, le transport et la distribution d'énergie). Membre du Siècle (cf. RV 97/0330).

- Bertrand Collomb

(Né le 14 août 1942 à Lyon). Ingénieur. Ancien élève de l'école Polytechnique. Conseiller ministériel auprès d'Alain Peyrefitte (1973-74) et René Haby (1974-75). Pdg du groupe Lafarge Coppé, administrateur de diverses sociétés dont Unilever, Canadian Imperial Bank of Commerce, Crédit commercial de France, et Crédit local de France. Proche d'ICTUS, il anima le Patronat chrétien (CFPC). Participe aujourd'hui aux séminaires de Ganagobie et administre l'ANSA. Administrateur d'Aspen-France, il participe au groupe de Bilderberg et au Forum de Davos. Il est membre du Siècle et d'Entreprise et Cité.

- Jacques Friedmann

(Né le 15 octobre 1932 à Paris, frère de Georges Pébereau, ex-Pdg de Marceau Investissements). Inspecteur général des finances. Camarade de lycée et à l'ENA de Jacques Chirac. Ancien élève de l'ENA. Conseiller ministériel auprès de Valéry Giscard d'Estaing (1965-66), Jacques Chirac (1969-70 et 1974), Pierre Mesmer (1972-74), Edouard Balladur (1986-87). Il fut, avec Philippe Jaffré, l'un des principaux artisans des privatisations de 1987. Pdg d'Air France (1987-88), puis de la Sagi (1989-93), enfin de l'UAP (1993-96), président du conseil de surveillance du groupe AXA-UAP (depuis 1996) (numéro 2 de la gestion d'actifs dans le monde). Membre du Siècle et de l'AFEP.

- Philippe Jaffré

(Né le 2 mars 1945 à Charenton-le-Pont, fils d'Yves-Frédéric Jaffré, conseil de Pierre Laval, et frère de Jérôme Jaffré, administrateur de la Sofres). Inspecteur général des finances. Ancien élève de l'ENA. Conseiller ministériel auprès de René Monory (1979). Chef de service au ministère de l'Économie et des Finances (1986). Il fut, avec Jacques Friedmann, l'un des principaux artisans des privatisations de 1987. Président de filiales du Crédit agricole (1988-91), Pdg d'Elf-Aquitaine (depuis 1993). Fut administrateur de nombreuses sociétés dont le Banco Ambrosiano. Il participe au Bilderberg Group et est membre du Siècle.

- André Lévy-Lang

(Né le 26 novembre 1937 à Alexandrie, Égypte). Directeur de banque. Ancien élève de l'école Polytechnique. Ingénieur puis directeur de filiales chez Schlumberger (1962-74). Pdg de Paribas (depuis 1990). Administrateur de diverses sociétés dont Athena, Schlumberger, les AGF. Il a été mis en examen, en 1995, dans l'affaire des Ciments français et s'est maintenu grâce au soutien de Claude Bébéar. Il est membre du Siècle, d'Entreprise et Cité, et de l'AFEP. Président de la Commission des finances du CNPF (1988-97) et de l'Association des amis français du groupe de Bilderberg. Il est l'un des sept membres du CCSE, l'instance supérieure du Secrétariat général de la Défense nationale chargé de l'espionnage économique (cf. RV 97/0487).

- Bernard Mirat

(Né le 3 juillet 1927 à Paris). Financier. Ancien élève de l'ENA. Conseiller du groupe Fimalac et Pdg d'IBCA Notation. Administrateur de diverses sociétés dont Suez, Sofrès, Lagardère Group.

- Michel Pébereau

(Né le 23 janvier 1942 à Paris). Inspecteur général des finances. Ancien élève de l'école Polytechnique et de l'ENA. Conseiller ministériel auprès de Valéry Giscard d'Estaing (1970-74) et René Monory (1978-81). Président du CCF (1987-93), puis de la BNP (depuis 1993). Administrateur de diverses sociétés dont Galeries Lafayette, Lafarge Coppée, Saint-Gobain, UAP. Ancien membre de la Commission économique du CNPF. Ancien président de la Commission de contrôle des films cinématographiques (1981-85). Membre du Siècle, d'Europartenaires (cf. RV 97/0321), d'Entreprise et Cité.

- Philippe Pontet

(Né le 30 octobre 1942 à Dijon). Magistrat à la Cour des comptes. Ancien élève de l'ENA. Conseiller ministériel auprès de Valéry Giscard d'Estaing (1972-74) et Norbert Segard (1974-78). Proclamé député de l'Eure en remplacement de l'opusien Rémy Montagne (1980-81). Pdg de La Hénin (1988-93), puis d'ERAP (1994), et du CIC. Administrateur de diverses sociétés dont Eranet et Roussel-Uclaf. Membre de la Fondation Saint-Simon (cf. RV 97/0326)

- Gilbert Rutman

(Né le 7 décembre 1928 à Baillet-en-France). Ingénieur général des mines. Ancien élève de l'école Polytechnique. Directeur de diverses filiales d'Elf, puis président d'honneur d'Elf. Ancien administrateur de la Cogema, actuel président du Comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers. Président de la Fondation nationale Entreprise et performance. Membre du Siècle.

(98/0005) Document : Quand les États ne peuvent plus contrôler les activités des sociétés pétrolières

Le document que nous reproduisons ici illustre l'échec d'un cabinet d'audit international à réaliser un diagnostic du secteur pétrolier congolais pourtant commandité par le gouvernement de Brazzaville.

(98/0006) Elf : un service secret privé autonome, interpénétré avec les services officiels

À sa création, le général de Gaulle nomma le fondateur de la Direction générale des services spéciaux (DGSS) et ancien ministre de la Défense, Pierre Guillaumat, comme premier directeur du groupe pétrolier qui devait devenir Elf-Aquitaine. Aujourd'hui, Elf, bien que privatisée, reste le premier service français de renseignement et d'action en Afrique. En septembre 1997, le général Patrice de Loustal, chef du service " Action " de la DGSE, a été nommé par Philippe Jaffré chef du " service de sécurité d'Elf-Aquitaine ". Il succède à ce poste au colonel Jean-Pierre Daniel, démissionnaire, qui fut un des piliers du " système Foccart " et qui succédait lui-même au colonel Maurice Robert (actuel président des Clubs 89 de Jacques Toubon) et à Guy Ponsaillé.

La démission du colonel Daniel fait suite à la perquisition effectuée à son bureau, le 15 mai 1997, par les juges d'instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky. De source proche de l'enquête, on indique que parmi les documents saisis dans le coffre-fort du colonel se trouvaient des contrat de sous-traitance d'opérations extérieures effectuées par CIAS du colonel Lucien Thomas, CMA de Pierre Miallot, Control Risk Management de Frédéric Bauer, Éric SA de Jean-Louis Chanas, GCB de Paul Barril, OGS de Gonzague du Pavillon, PHL de Philippe Legorjus. En outre, auraient été saisies des " notes blanches " de la DGSE portant sur des sujets variés : état de l'enquête du juge Van Ruymbeke sur le financement du Parti républicain, état de l'enquête du juge Halphen sur les marchés publics d'Île-de-France, rôle d'un État étranger dans les attentats des années 80, rôle des réseaux Pasqua dans l'affaire des Comores et dans la coopération africaine, contrat d'élimination de Pierre Péan par une des sociétés susnommées, et chantage contre Jacques Chirac. Enfin, les magistrats auraient saisi des dossiers relatifs à l'affaire Soizeau en Côte d'Ivoire et le débriefing de Michel Lambinet.

Les 19 et 21 avril 1997, des documents relatifs aux activités d'Elf-Gabon, placés sous scellés et conservés dans les locaux hyper-protégés de la brigade financière (au 9e étage du 122, rue du Château des Rentiers, Paris XIIIe) ont disparu sans effraction.

(98/0007) Elf : Les affaires judiciaires en cours

Si elle devait être constituée, la Commission d'enquête parlementaire sur Elf ne pourrait pas conduire d'investigations sur des affaires faisant actuellement l'objet d'une instruction judiciaire. Se trouveraient ainsi notamment exclues de ses travaux les affaires suivantes :

- Affaire Bidermann : Pour satisfaire à l'amitié de Loïk Le Floch-Prigent, Elf a renfloué l'entreprise de confection de Maurice Bidermann, le frère de la chanteuse Régine.

- Affaire Air Gabon : Elf aurait offert un avion CHS à une compagnie d'aviation amie, proche de Samuel Doussou-Aworet, époux de l'ambassadrice du Gabon en France.

- Marché vénézuélien : Dans l'espoir de s'implanter au Venezuela, Elf aurait corrompu le parti au pouvoir et le principal parti d'opposition, et aurait également rémunéré des intermédiaires comme Firmin Fernandez ou le Canadien Hagop Demerdjian.

- Marché allemand : Dans le cadre de l'achèvement et du rachat du complexe de Leuna (ex-RDA) et des stations services Minol, Elf aurait corrompu la CDU du chancelier fédéral Helmut Kohl à hauteur de 100 millions de francs, ainsi que d'autres responsables non identifiés à hauteur de 200 millions de francs, versés sur le compte Nobelpach au Liechtenstein.

- Marché de la mer du Nord : Afin de racheter des autorisation d'exploitation en mer du Nord, Elf aurait corrompu les détenteurs américains.

(98/0008) Document : Quand Elf arbitre les conflits au Congo

Le document que nous reproduisons iciest aimablement diffusé par la cabinet de l'ex-président Lissouba. Nous n'avons pu en vérifier l'authenticité avec certitude, mais les divers experts consultés le considèrent comme très vraisemblable. Le lecteur peu documenté sur le conflit congolais s'abstiendra prudemment d'en tirer des conclusions sur la légitimité comparée de Lissouba et de Sassou N'Guesso. Par contre, il retiendra le pouvoir prêté à Elf par les divers protagonistes.

(98/0009) Document : Pour se financer, le Front national, comme bien d'autres formations politiques, quémandait l'argent du pétrole

En 1983-84, Jean-Marie Le Pen avait mandaté l'ancien Oberscharführer de la Waffen SS, Gilbert Gilles, pour représenter les intérêts financiers du Front national en Afrique du Centre et de l'Ouest, c'est-à-dire dans les zones contrôlées par le groupe Elf.


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